8.6. LE DIALOGUE : le « P », la « R » et le Raisonnable

- En vous écoutant, dit le « P », l’idée m’est venue que la « R » est, en fait, ma pensée. Ou, mieux encore, qu’elle est la réalisation parfaite de ma pensée, si parfaite que je n’aurais même pas rêvé la voir se réaliser (1.4.2.). Elle est là, toute belle, visible, parfaite, juste comme il faut ; je l’aime.

- Ah ce P ! la « R » s’exclame. Oh, comme il est beau, intelligent et subtil. Il est exactement comme je l’ai imaginée. Même plus, - comme je n’aurais jamais pu imaginer. Je l’aime, il est ma pensée, mon idéal, mon futur, mon rêve !

A cela, le RAISONNABLE déclare :

Elle est la réalisation de lui. 
Lui - la pensée d’elle. 
Unis par l’observation réciproque ; leur amour, 
leur dialogue est notre pensée.




8.7. CONSCIENCE

8.7.1. LE REEL
- Vous avez parlé, dans le chapitre 5.14.5., et dans d’autres, que la synthèse est un compactage de la connaissance objective ou encore du réel, en connaissance subjective-réalité, qu’elle est la création d’un modèle de l’objectivité à partir duquel, moyennant un processus d’analyse, il sera possible de reconstituer cette objectivité. Vous disiez aussi que la synthèse est un transfert de l’image-état de l’objectivité dans un lieu sûr, de faible espace, où les risques de la destruction sont faibles.
J’aimerais comprendre pourquoi, pour la nature (5.4.6.) - un observateur objectif du type énergie - ce sauvetage de l’image du présent est nécessaire.

- Tout ce qui observe sauve le réel. Et pourquoi ? Parce qu’étant observé, le réel est subjectivisé (5.6.3.), sa perfection se dégrade, l’observation le met hors du présent. Et c’est peut-être afin de sauver son dernier état vrai - réversible, que le sauvetage est fait. Et comme il n’y a pas de sauvetage-observation parfait, et le réel lui-même est construit des subjectivités, il change incessamment donc, le sauvetage de son état et, ensuite, son actualisation sont nécessaires pour renouveler sa perfection - objectivité.



8.7.2. LA REVERSIBILITE
- Ainsi donc, l’observateur compacte le réel. Mais jusqu’où ? Que pourrions-nous dire au sujet du taux de compactage ?
- Nous avons vu, dans d’autres entretiens, que le taux raisonnable est celui qui assure, localement, la réversibilité de la réalité et du réel. Au-delà, c’est l’absurde. 
– Cependant, une réversibilité parfaite, l’égalité du réel et de la réalité, sont l’absence de l’observation, le présent ou le vide.
- Le compactage et le décompactage parfaits ne sont pas équivalents à leurs absences, car ils n’atteignent jamais la perfection du vide. Certes, l’observateur parfait est celui qui n’est pas.



8.7.3. LA REALITE
- Qu’est-ce que le concept de réalité ou encore la réalité ?
- La réalité est le résultat de la synthèse d’un réel. Et comme telle, elle est une connaissance.
- Si la réalité est une connaissance, elle peut être considérée, localement, comme un autre réel - ignorance - et être, à son tour, compactée ?
- Oui. Bien sûr. La connaissance, en fonction du point d’observation, peut être considérée comme un réel ou une réalité, objective ou subjective, elle peut subir l’analyse ou la synthèse.



8.7.4. LA PENSEE
- Parlons de la pensée. Qu’est-elle dans le contexte du présent ?
- La pensée émerge du présent, elle est son évocation ou encore, son opposition. Elle évoque ce qui n’est pas ce présent-là, elle le quitte et elle crée un autre présent dans lequel elle se réalise.
- Si le présent et la pensée sont des oppositions, l’on devrait trouver, entre eux, une zone de raisonnable. Qu’est-elle ?
- La conscience, la réponse est simple.



8.7.5. LE COMBAT
- Si c’est la conscience qui est le « entre le présent et le temps », qui est la limite entre l’objectif et le subjectif, elle devrait constamment lutter pour rester là où elle est. Elle devrait être asservie à ne pas tomber dans l’une ou l’autre absurdité.
- Vous avez raison. Dans ce combat qu’est la conscience, la référence est 
« être » ou, autrement, se séparer, « n’être » ni l’une ni l’autre absurdité qui la crée.

- Quel est le mécanisme de cet asservissement ?
- C’est une suite d’événements de discernement, un processus qui est, essentiellement, l’identification à l’un et la reconnaissance de l’autre opposée.
Bien sûr, il n’y a pas un quelconque individu « conscience » ; cependant, afin de décrire le processus, parlons d’elle comme si elle l’était.
Ainsi, afin « d’être », la conscience reconnaît et s’identifie avec un des opposés. Ensuite, à peine l’identification faite, elle reconnaît l’autre opposé, quitte son identité et s’identifie avec ce qu’elle a reconnu, et ainsi de suite. 
Le combat, dont nous avons parlé, est l’incessant effort, d’un côté, de l’identification, de devenir ou d’être et, de l’autre côté, d’abandonner ce que l’on est, de mourir.

- Vous avez dit, tantôt, que la conscience « n’est pas » un individu quelconque or, qui s’identifie - est. Qui est-elle alors ?
- Si vous interrompez ce processus, vous trouverez l’un ou l’autre opposé. Et - c’est la vérité - c’est toujours l’un ou l’autre qui est l’observateur 
« conscience ». 

- C’est paradoxal, car afin « d’obtenir la conscience », afin de ne pas être l’une ou l’autre absurdité, il faut devenir l’une ou l’autre. Etrange.



8.7.6. LE CHOIX
- Qu’est-ce que la mort ? La perte du combat par la conscience ?
- Pas nécessairement. Elle peut résulter d’un choix.

- D’un choix ?
- Oui. De plonger dans l’une ou l’autre absurdité qui est, d’ailleurs, son origine. 

- Quelle pourrait être la motivation, d’une conscience, de quitter ce qu’elle est, et d’aller là où elle n’est pas ?
- Plonger dans l’absurde est sans doute absurde. Et la motivation ? Mais c’est une nécessité ! La conscience, jamais parfaite, évoque l’absurde ! le pense ! désire de s’unir avec lui, d’en faire un. 
Et encore ! N’est-ce pas la mort - perdre son identité ? Elle fait partie du processus de conscience. A tous les niveaux.



8.7.7. L’ALTERNANCE
- Alors le devenir, le vouloir obtenir une nouvelle identité, si l’on suit votre développement, est l’autre composante de la conscience ?
- Oui. L’alternance des naissances et de la mort, de la création et de la destruction, à tous les niveaux d’observation, est la manifestation de la conscience - vie. Et j’insiste sur l’alternance, car une naissance ou une mort seule, n’est pas conscience ; l’une et l’autre sont l’absurde.
- Mais comment cette alternance se réalise-t-elle ?
- Un bon exemple est le couple RP, discuté dans les chapitres 8.3. et 8.5. Le R réalise la synthèse, fait naître, alors que le P, le penseur, analyse ou détruit. Leur dialogue, amour, ou encore, combat, ni l’un ni l’autre, l’alternance d’absurdités, génèrent la conscience. 

 



8.8. LA RAISON

8.8.1. DE L’EQUILIBRE
- Les philosophes ont remarqué, depuis longtemps, que ce qui différencie l’homme de l’animal est sa capacité d’adaptation aux changements de l’environnement. 
- Certes, ils ont raison. Cependant, quant à nous, nous disions que c’est l’irréductibilité de son concept de réalité qui rend l’animal ce qu’il est.

- Pouvez-vous développer cette idée ?
- Bien. La connaissance dure (4.3.) et le concept de réalité fixe qu’elle produit amène l’individu, dont elle forme, à réaliser l’observation continue (2.8), l’amène au comportement en accord avec ce concept, à l’attitude localement rationnelle et, finalement, au séjour dans le domaine du présent. Evidemment, ce type d’observation, l’action et la réponse uniques et invariables, ne permet pas l’adaptation - par définition un changement.
Par contre, l’individu constitué de matière molle, caractérisé par le concept de réalité peu cohérent, est plus apte à des observations discontinues, localement irraisonnables : chacune de ses « incohérences » réalisant sa raison, l’ensemble prend l’aspect d’un individu déséquilibré. C’est la diversité. Et, bien sûr, elle permet l’adaptation.

- Dans le cadre de ces assertions, l’animal posséderait le concept de réalité plus cohérent que l’homme ?
- Oui. Sans doute, l’homme capable de concevoir le bien et le mal, le beau et le laid, est plus loin de l’équilibre que l’animal.



8.8.2. LA RAISON
- Un homme, en état de tranquillité d’esprit, observe de façon continue. Tout à coup, il a une idée (5.18.). Que s’est-il passé ?
- La matière molle, peu cohérente, faiblement liée, se restructure ( grâce à l’apport de l’énergie de l’extérieur ). Des structures naissent et disparaissent. L’apparition d’une observation discontinue (2.9.2) - une idée - au sein d’un individu équilibré, qui observe de manière continue, peut être l’expression de la formation et de la présence d’un nouvel élément cohérent dans sa connaissance. 
L’idée pourrait être l’effet de la réalisation par cet élément de sa rationalité, de son présent ou, encore, d’une nécessité qui est inhérente à son état de conscience donc, de l’observation continue.
Par contre, si la matière de départ est dure, ces restructurations sont faibles et rares, et la formation d’un nouveau groupement cohérent et son expression sont peu probables (8.1.). Nous faisons là, l’allusion à ce que l’on vient de dire à propos de l’animal.

- Peut-on dire, en observant un individu, que son équilibre, le manque d’observations discontinues, sa stabilité, sont des mesures d’homogénéité de sa connaissance ou, encore, de sa matière ?
- Oui et non. Non, car sa matière complexe peut être si fortement liée que ses restructurations seront difficiles et qu’il n’y aura pas, en conséquence, d’observations discontinues. Et ce n’est qu’un apport extérieur de l’énergie, une observation extérieure, qui peuvent la restructurer et mettre ainsi en évidence sa complexité. Pour ce qui est du oui, nous avons déjà discuté cette question.



8.8.3. ENCORE DE L’IDEE 
- Si l’on considère l’état d’équilibre comme un état rationnel ou raisonnable, où le futur est égal au passé et donc, où règne la certitude (3.1.2., 6.1.), l’idée, et en général la pensée, sont des états irrationnels. N’est-ce pas ?
- En effet, la pensée, s’opposant à la linéarité du présent, crée les concepts non-linéaires du passé et du futur. Fondamentalement, elle est l’état de transcendance de la linéarité de la raison. Dans d’autres causeries, nous l’avons appelée - évocation.

- Il existe, cependant, un autre état de transcendance de la rationalité du présent. C’est l’état sans pensée, l’état de méditation ou, encore, l’état de vide. Comment l’interprétez-vous ?
- Là ! Je ne suis pas d’accord avec vous. L’état sans pensée n’est pas une transcendance de la rationalité du présent. Il est l’état du présent, il est la rationalité même.
Sauf, bien sûr, si l’on considère la pensée comme l’état de base ou, encore, comme l’individu qui a son « présent-pensée ». Dans ce cas, le désir d’atteindre l’état sans pensée est, effectivement, un dépassement de ce présent-là. Il n’empêche que ce dépassement est ici l’annihilation de cet individu, le retour au présent qui l’a évoqué. En effet, la mort est le retour à la raison.
Mais, revenons à cet individu « présent-pensée » ou, encore, le raisonnable-pensée. Il est entouré, comme tout autre présent, nous le savons (6.2., 7.1.), de deux absurdités. L’une est matière-connaissance que nous pouvons associer au présent (celui du retour et de la mort ) et l’autre, énergie-ignorance, ou la pensée de la pensée. 
Ainsi, vous le voyez déjà, devant cette pensée, il y a deux voies de dépassement de son présent : connaissance ou ignorance, la mort ou une super-pensée.

- Qu’est-ce que la mort d’une pensée ?
- C’est l’annihilation des structures conceptuelles, la destruction des liens, l’état de vide. Or, l’on en a discuté dans le chapitre précédent, la déstructuration de la connaissance favorise la génération d’idées qui, elles, par leurs présents, créent un nouveau présent, une nouvelle raison.

- Et la super-pensée ? Qu’est-elle ?
- Peut-être la folie ? Comme toute pensée ?



8.8.4. LES LIMITES
- Entre le vide et le non-vide il y a donc ce domaine optimal du « raisonnable », le linéaire. A l’échelle cosmique, est-ce que c’est l’homme qui occupe cette place ?
- Peut-être. En tout cas, à partir de l’homme, le durcissement de la connaissance produit des individus dramatiquement raisonnables qui, à la limite, n’observent que continuellement. Sans jamais changer de concept de réalité, dotés d’une certitude inaltérable, presque sans pensée, ils deviennent une absurdité pure. Enfermés dans leurs raisons parfaites, dans le présent, donc parfaitement manipulables, ils deviennent les éléments de base à partir desquels les individus moins raisonnables se construisent. (2.7.2., 7.2.3) D’autre part, le relâchement de la connaissance augmente l’observation discontinue, irrationnelle. Les individus perdent leur raison, jamais dans le présent, ils sont détruits comme tels et, à la limite, deviennent le vide, la pensée pure - le hasard.

- Certes, votre vision cosmogonique est séduisante. Néanmoins, l’homme en occupe la position centrale ; vous faites votre analyse « à partir » de lui.
- Oui. Car, cette vision est un discours tenu par un individu du type, malgré tout, homme, et pour le même genre de l’interlocuteur que lui soit, aussi, un homme. Et, remarquons, encore, que c’est vous qui avez posé la question de la position de l’homme dans du réel : pour nous - les hommes - elle ne peut être que centrale.



8.8.5. LA REPRODUCTION
- Si le présent est l’état de réversibilité parfaite du passé et du futur, on peut l’interpréter comme une reproduction réciproque ou, encore, symétrique d’un individu. Or, la reproduction (3.1.) vise la continuation de l’état de base de l’individu. Le présent est-il vraiment l’état de reproduction ?

- Bien sûr que oui. L’individu qui observe de manière continue, reproduit continuellement son état présent, reproduit ce qui est réversible, donc ce qui est raisonnable, « ce qui est ».
- Pourquoi est-il nécessaire de reproduire « ce qui est » ?

- Le reproduire est la meilleure façon de sauvegarder l’objectif, le réel, la vérité, le réalisé, le non-virtuel. ( 2.1.6. note (1), 5.17.4. et 8.7.1. )
- Cela concerne les individus de faible complexité qui réalisent l’observation continue. Mais ceux qui n’ont pas un présent stable, qui observent hors du raisonnable ? Comment se reproduisent-ils ? Que reproduisent-ils ?

- L’individu complexe, irrationnel, déséquilibré, sexué, absurde, pour continuer son existence, cherche à s’équilibrer, à réduire ses déformations, à devenir réversible, raisonnable au maximum. Et la formation d’un couple avec un individu aux déformations opposées est, pour lui, une solution. L’état de couple réduit, effectivement, le déséquilibre, ramène l’individu-couple à la raison. Et, quand le couple crée du présent réversible, plus large que celui de partenaires séparés, c’est ce présent qui est reproduit, sauvé.