8.9. LA VIE ET LA MORT

8.9.1. LA CONTINUITE
- Quand on observe la nature, on constate qu’elle fait tout pour se reproduire. Pourquoi le fait-elle ? Que fait-il que la vie tend à continuer ? Qu’est-ce qui nous oblige à nous reproduire, à continuer ? 
- C’est le désir - une promesse du plaisir - qui est le moteur de la poussée vers la continuation.

- Mais pourquoi la nature fait des efforts, vraiment extraordinaires, pour mettre en mouvement le cycle désir - plaisir ou, encore, séparation - union ? Autrement dit, pourquoi les individus sont dotés de ces pulsions ?
- Les efforts extraordinaires ? Mais rien du tout ! Et, encore, les individus ne sont pas « dotés » des pulsions ! Ils sont ces pulsions ! Que voyez-vous d’autre à part la séparation et l’union, la souffrance et le plaisir ?

- D’accord, mais pourquoi la continuité ?
- L’on pourrait dire que pour propager les espèces. Mais cette réponse est fausse. La continuité n’est pas un but, elle résulte du processus de l’observation.

- La continuité au niveau de l’individu donné, donc une continuité sélective, crée et maintient un nouvel individu : famille, espèce, continuum, société, milieu. C’est peut-être pour maintenir le multiple que la continuité locale est nécessaire ? Le « but » ce serait alors de créer et de maintenir des individus de plus en plus vastes et de plus en plus complexes ?
- Le mot « but » exprime le désir d’atteindre le plaisir de réalisation d’un résultat. En effet, comme tel, ce concept au niveau local est le porteur de continuité.



8.9.2. ETRE 
- Ainsi donc, au niveau de l’individu, l’état de plaisir est recherché afin d’accomplir la transmission des informations permettant la continuité, donc la vie, de l’individu « supérieur » - continuum, espèce.
- Ceci est une opinion exprimée par un observateur qui a une vision « panoramique », alors que l’individu en question serait, peut-être, d’un autre avis. 
Certes, celui qui ne se reproduit pas, qui ne participe pas au cycle séparation - union, désir - plaisir, qui ne crée pas de la continuité, donc qui ne transmet pas de la connaissance - ne participe pas à un individu « supérieur » ; il le construit (et il en faut de tels individus, aussi ). A la limite cet individu 
« n’est pas ». En effet, l’individu ne devient, ou il ne « est » que s’il fait partie d’un individu « supérieur », d’un continuum. 

- En ces termes, on assure la continuité pour « être ».
- L’on ne devient que si on participe à un individu plus objectif que nous - au multiple. Le neutre « n’est pas ».



8.9.3. L’OPTIMUM
- Si le « ego », la subjectivité, l’individualité ont comme fonction d’assurer la continuité ou la vie aussi bien de l’individu que de la société formée de multiples individus, l’on devrait observer un « ego » optimal.
- Oui. Ce serait l’individu qui ne développe la subjectivité pas plus qu’il ne le faut pour participer à l’objectif. 
Alors que la subjectivation forte, une séparation du milieu et l’union - plaisir - local excessif d’un côté, et un faible « ego », une objectivation excessive de l’autre côté, réduisant le transfert de la connaissance réduiraient la « qualité » de la continuité de ce même individu-milieu. 



8.9.4. LA CONSCIENCE
- Le cycle désir - plaisir correspond, bien sûr, au cycle de l’observation 
« conceptualisation - réalisation » que nous connaissons déjà bien. Or, dans le contexte de la continuité, il devient évident que, lors de l’observation, se réalise un transfert de l’information qui permet la continuation de cette même observation : l’individu observe et se maintient pour que son milieu « soit », car la présence de « l’individu milieu » est la condition nécessaire pour qu’il puisse observer.
- Une étrange constatation, car cela suggérerait que l’observation ait la 
« conscience d’observer » ou, encore, cela se passe comme si la vie avait la conscience de soi.



8.9.5. LA MORT
- Si la vie est la communication entre les individus afin de perpétuer cette même communication, la mort d’un individu est son arrêt. Si la vie résulte du désir d’atteindre un plaisir, la mort est l’absence de ce désir. Et puisque c’est dans l’état d’union et de plaisir que la connaissance est transmise, l’absence de l’observation locale, l’absence du désir local mettent en danger la vie de l’individu « supérieur » ; de l’espèce, de la société, du milieu, du continuum.
- Or, c’est dans l’état de plaisir que le désir n’est plus ! puisque le but est atteint !

- En effet, la vie est une incessante recherche de la mort.
- Car ce n’est que la mort atteinte, la transmission accomplie, qui peuvent donner naissance à un nouveau désir, à un nouveau cycle d’observation. La continuité est une suite des unions et des séparations, des plaisirs et des souffrances, des vies et des morts.

- Certes, tant que l’on est objectif, indéterminé, multiple - on est immortel. C’est l’unique, le singulier, le déterminé, le subjectif, seuls qui expérimentent l’état de plaisir, qui meurent. 
- Or, étant objectif - l’on « n’est pas ».



8.9.6. ENCORE DE LA MORT
- Qu’est-ce que la mort ?
- Si la vie résulte du désir d’atteindre un plaisir, la mort et l’absence sont le plaisir réalisé, l’état de matière avec sa virtualité de séparation, de désir ou de vie. 

- Peut-on dire que, en général, toute extinction de la conscience est un état de mort ?
- Dans les termes que nous utilisons dans notre discussion, oui.

- Il est significatif que le transfert de la connaissance, par exemple lors de la reproduction sexuée, se réalise en état de plaisir, donc en état de mort. 
- Oui. Ce n’est qu’en état de conscience réduite, quand les subjectivités - nécessairement opposées à l’objectivité - sont éteintes grâce à l’état d’union, de plaisir ou, encore de mort, que la transmission des informations essentielles - du fruit ou de l’expérience - non empêchée par « les connaissances personnelles » peut atteindre une grande fiabilité ou, encore, perfection. 

- Certes, la vie est transmise lors de l’état de mort.
- Oui, car la mort de la conscience de l’individu ne signifie pas nécessairement la mort de l’individu ! Tout est là, dans la compréhension du fait que la conscience qui parle n’est pas exclusive, qu’elle résulte d’une réunion d’autres individus et leurs consciences, qui la construisent.

- Devrait-on alors s’attendre, à chaque niveau de conscience, au moment de plaisir - extinction de cette conscience - à l’émergence d’une conscience 
« inférieure » ?
- Sans doute, chaque niveau de conscience a son « subconscient ».

- Alors des plaisirs - morts - successives, mènent-elles au plaisir infini ?



8.9.7. LES LIMITES
- Qu’est-ce que la subjectivité infinie ?
- Vue de l’extérieur, c’est l’état de plaisir infini : la transmission de la connaissance parfaite, mort ultime. 
L’individu dans cet état, état de matière parfaite, totalement séparé de son environnement ne communique pas avec lui. Parfait, isolé, objectif dans son domaine, ni le perfectionnement, ni le transfert de la connaissance ne sont pas nécessaires pour lui. 
La subjectivité infinie « se laisse » transmettre. Ayant le temps infini et l’espace nul - elle « n’est pas ». Etant neutre, elle sert, pour ce qui est à l’extérieur d’elle, d’élément de base pour la construction des individus moins subjectifs, moins parfaits qu’elle. (8.8.4., 8.9.2.) 

- Et l’objectivité infinie, dans ce contexte, qu’est-elle ?
- Elle est l’état d’énergie pure engendré par l’individu composé d’un nombre infini de subjectivités infinies (5.4.1.). C’est un état de séparation et de désir, de continuité et de vie infinies. L’individu en cet état, uni avec le réel - est ce réel. Unis - leur communication est parfaite, instantanée : le transfert de connaissance n’est pas nécessaire, ils sont « un ». La continuité étant parfaite, totale, - l’individu « est » parfaitement : un « être infini ». 
Or, le transfert de connaissance absent, le désir accompli - la continuité et la vie perdent le sens.
L’état de l’objectivité infinie, de vie ultime ne dure qu’un instant. Ce qui suit est la vie et la mort imparfaites, car exigeant l’effort de continuation donc, le temps et l’espace. (5.4.6.)

- Entre ces deux extrêmes perfections, entre l’éternité et l’instant - l’imparfait, le temps et l’espace limités, le raisonnable, simulant l’une et l’autre absurdité, voulant de s’en approprier pour atteindre la perfection « absurde ».
- Y arrivera-t-il ?

- Etant « parfait », se souviendra-t-il encore de l’époque quand il fut raisonnable?



8.9.8. LE CONTENU
- L’état de mort, l’état de vide, le plaisir sans pensée, sont donc des états de transfert d’une connaissance. Mais qu’est-elle ?
- Cela ne peut être que quelque chose de localement important, « vrai ». Et qu’est-ce qui est localement vrai ? C’est l’état du « présent-objectivité » de cette singularité locale. En effet, c’est le résultat de l’observation de cet état qui, compacté sous la forme de connaissance ou de matière, permet, après son décompactage, la continuité de l’observation.



8.9.9. L’ETAT DE VIDE
- Mais, au fond, que se passe-t-il quand l’individu est en état de plaisir -
mort ?
- C’est un état où la connaissance ne génère pas ( ou très peu ) de la conscience ( chapitre 2.0. ). Et puisque, dans cet état, il n’y a pas de la pression subjective, consciente, résultant d’un jugement incertain, les éléments de la connaissance, non contrôlés par un facteur local structurant, sont libres. En absence d’un « jeune » champ subjectif certains éléments de la connaissance se décomposent, d’autres se renforcent, apparaissent des nouveaux liens, d’autres disparaissent, des couples se forment et d’autres se séparent. Des multiples transferts d’information se réalisent - la connaissance, non dirigée, se restructure. (8.1.)
- Est-ce l’état de vide dont nous avions déjà parlé ?
- Oui. Nous avions dit, alors, que c’est un état de double virtualité : qui peut produire du passé ou du futur. Or, à présent, nous essayons d’observer l’intérieur d’une connaissance en cet état.

- Peut-on dire que c’est un état de brasage des valeurs ou des concepts ?
- Certes, en absence d’une pression structurant, des rencontres, autrement peu probables, se réalisent. La potentialité d’apparition des idées nouvelles se crée.

- Les idées, ou encore des nouvelles alliances, sont, en quelque sort, 
« préparées » en état de vide pour émerger, au niveau de la conscience, donc au niveau de l’observation active ?
- Oui. Elles apparaissent avec la pensée, qui est la manifestation de la conscience de séparation : de la séparation en pensées et en idées. Cependant, leur émergence - réalisation - n’est pas une nécessité ; elle est conditionnée par la qualité du champ subjectif et structurant de la conscience.

- Alors que la conscience, elle, dépend des idées qu’elle réalise. 



8.9.10. LE « EGO »
- Si l’état de plaisir est un état de transfert d’une connaissance, l’état de souffrance, l’état de vie permettent l’observation extérieure, l’accumulation, la récolte des informations qui, après avoir été traitées, peuvent être transférées.
- Selon vous, ce sont les subjectifs, les « ego » qui remplissent ce rôle ?

- Bien sûr. Qui d’autre si ce n’est le « moi », le séparé, le particulier qui soit capable péniblement découper, sectionner, quantifier et qualifier le paysage objectif du réel ?
- Pour être, peut-être, récompensé d’un moment de « vérité ».

- Certes, il n’y a pas de l’instant d’extase non précédé par une éternité de désir.

 

 



8.10. DE LA REVERSIBILITE

8.10.1. LA BOUCLE DE L’OBSERVATION
- A présent, c’est à moi - une idée.
- Mais je vous en prie, ne vous gênez pas. Allez-y.

- D’accord. Je regarde la figure 8 de votre livre, je vois que, en fait, la boucle de transmutation matière-énergie, la boucle de l’observation, si elle est réalisée et répétée parfaitement, peut être considérée comme le présent réversible (6.1.1.). Qu’en pensez-vous ? Et, alors, les perfectionnements d’états dans les deux directions opposées ne sont que les projections du passé et du futur ou, autrement dit, les dépassements ou, encore, les transcendances de l’observation parfaite ? 
- En effet. L’idée est explosive ou, plutôt, renversante ; nous n’avions jamais songé à cette interprétation. Bien sûr, bien sûr, les dépassements sont l’expression de l’imperfection de la réversibilité de l’observation. Ou, encore, de sa rationalité !

- Alors ? Tout est à l’envers ? C’est la perfection qui cherche l’imperfection ?
- Certes, le monde de séparation et d’union des contraires est étrange. Nous avions remarqué cet aspect de l’observation lors de notre expérience de pensée que relate la première partie de ce livre.

- Si vous permettez, j’aimerais continuer mon idée.
- Mais je vous en prie, allez-y.

- Alors, s’il en est ainsi, la boucle de transmutation matière-énergie, la boucle de l’observation est, purement et simplement, un modèle de la raison ! 
Et les perfectionnements de la transmutation dans deux directions opposées, les projections du passé et du futur, ne sont rien d’autre que les transcendances de la raison ou, encore, pensée. 

- La raison est-elle donc équivalente à l’observation ?
- Peut-être pas. Il faudra plutôt dire que la raison imparfaite crée la pensée qui, elle, observant, permet au perfectionnement de cette même raison.



8.10.2. EQUILIBRER LE PRESENT
- Supposons qu’un individu tend vers le perfectionnement de sa raison. Comment procède-t-il ?
- Bien sûr par la conversion de ce qui n’est pas réversible en réversible. 

- A condition qu’il distingue l’un de l’autre.
- En effet. Ceci est l’affaire de la conscience (8.7.5. Le Combat). Faisons donc notre analyse comme s’il le distinguait. Ainsi, sa raison-présent n’est pas parfaite, ses éléments, passé et futur, connaissance et ignorance sont asymétriques et, afin de les « expliquer », il les rend symétriques.
Par exemple, l’individu en état d’excès du champ de conception (penseur), en réalisant le champ, en faisant sa synthèse, réduit le champ-futur, crée de la matière. Et, s’il n’exagère pas dans l’ampleur de sa créativité, l’état de son présent et, donc, de sa raison, tout en se déplaçant vers l’état d’union, s’équilibre.
Et comment fait-il la synthèse ? En assemblant les éléments qu’il connaît - réversibles - en état de dispersion, il crée la connaissance réversible.

- Certes, un ensemble d’objets connus n’est pas nécessairement aussi un objet connu.
- Bien sûr. Et c’est là, dans l’établissement de nouveaux liens lors du processus de synthèse, que gît le mystère de l’union. 

- Pourrait-on alors dire que, créant de la nouvelle matière-connaissance, il compense l’excès du futur ?
- Certainement. Ou bien, l’insuffisance du passé. Mais, il y a encore une autre façon d’interpréter le processus de la rationalisation du présent.

- A quoi pensez-vous ?
- Le même individu, en état d’excès de champ de conception, voulant « se rationaliser », améliorer le rapport connu/inconnu (2.3.1.), le rapprocher de l’égalité, peut choisir la voie de la « déstructuralisation » ou, encore, de la destruction de ce qu’il considère comme connu, matière ou connaissance, et ce qui l’éloigne de l’équilibre. 

C’est la voie de l’analyse, et elle mène aussi à la réversibilité d’états, produit de la raison. Cependant, l’état de réversibilité-raison ainsi obtenu est déplacé, par rapport à l’état de départ, vers l’état de séparation.

- Mais quelle est « la raison » - cause - de l’équilibrer la raison ? Pourquoi tous ces efforts exorbitants ?
- Une bonne question ne mérite qu’une réponse médiocre, la voici : le présent réversible est réel, « sauvable », transmissible (1.2.2,  5.14.58.7.).

- En effet, la réponse n’est pas bonne. La raison, le réel, l’actuel, donc la perfection, méritent d’être sauvés car les retombées de leurs perfectionnements, les déchets irréversibles, le passé et le futur, l’irrationnel, constituent la matière pour leurs perfectionnements.
- Certes, l’élargissement de la raison ne peut se réaliser qu’à partir d’un état non-équilibré. C’est l’irrationnel qui potentialise la raison.
- Alors, le but, ce serait de produire et, ensuite, de sauver la raison-présent réversible la plus large possible ? (5.14.5.)
- Ou, encore, de produire le temps et le rendre « insauvable », absurdement irréversible, irrationnel ?

- Voici où cela mène, la réversibilité des concepts ou, encore, des valeurs - 
à la confusion totale.
- Mais, n’est-ce pas dans l’infini que les contraires se rencontrent ? (0.1.3.)

- La raison pure serait-elle alors, là ?



8.10.3. DE LA VERITE
- Ainsi donc, la raison, à l’intérieur d’elle, se considère « vraie ». Cependant, se heurtant contre ses limitations, elle constate que de l’autre côté de la limite sa « vérité » ne se vérifie pas toujours. Alors, pour améliorer la situation, elle s’efforce de convertir l’extérieur et/ou la limite en raison, en sa raison.
- Nous venons de discuter ce problème mais, à présent, une autre très étrange idée nous vient. La raison peut tenter de supprimer la limite ! Car s’il n’y a pas de la limite (7.1.), il n’y aura pas de la pensée, et sa vérité ne pourra pas évoquer son opposée. Sa vérité sera éternellement « vraie », objective !

- D’accord, et pour cela il suffit, simplement, d’être sans limites, d’être infiniment grand.
- Où, si l’on n’est pas grand, déplacer, reculer notre limite, étendre nos frontières. Et si l’expansion de l’espace occupé est faite à la vitesse comparable à celle de la communication dans notre monde, si la limite est reculée suffisamment vite, le « faux » n’aura pas le temps de s’installer dans notre vérité.